« J’ai un lien particulier au patrimoine. J’effectue de nombreuses restaurations, aussi bien sur du patrimoine inscrit ou classé aux Monuments Historiques – pour des églises notamment – que sur du patrimoine populaire, comme la restauration de meubles anciens pour des particuliers. C’est un type de patrimoine auquel on ne s’intéresse pas de manière officielle mais qui fait aussi partie de l’Histoire, qui constitue aussi un patrimoine à part entière. C’est un patrimoine local, familial. Dans un autre registre, j’ai toujours apprécié le fait de pouvoir visiter les châteaux et les églises. Je ne m’imagine pas vivre sans ces édifices historiques, sans qu’ils fassent partie du paysage. » Sylvère Grandvoiennet, ébéniste restaurateur du patrimoine
Fort d’une longue expérience dans la restauration d’objets en bois inscrits ou classés aux Monuments Historiques, le mobilier de l’usine ainsi que celui de la maison de maître du musée de la conserverie Alexis Le Gall, ont été confiés aux soins avisés de Silvère Grandvoinnet, ébéniste formé chez les Compagnons du Devoir et installé à son compte dans son atelier de Saint-Guénolé-Penmarc’h. Habitué à restaurer du mobilier religieux ou issu d’héritages familiaux, le traitement des tables et bancs de la conserverie lui a permis de découvrir un nouvel aspect du patrimoine populaire, dont la dimension humaine transparaît au travers des traces laissées par les années de travail de mise en boîte. Il a accepté de nous parler des enjeux d’une telle restauration.
son parcours professionnel
Après un baccalauréat littéraire, j’ai commencé un CAP Menuisier à Brest chez les Compagnons du Devoir. En parallèle, j’ai suivi un brevet professionnel en menuiserie ainsi qu’un CAP en sculpture. J’ai, par la suite, enchaîné sur quatre ans de tour de France. Lorsque j’ai terminé mon tour en 2014, j’ai décidé de me mettre à mon compte au Guilvinec. Il y a deux ans, j’ai eu l’occasion de pouvoir racheter cet atelier sur Saint-Guénolé-Penmarc’h.
sa notion de patrimoine
J’ai un lien particulier au patrimoine. J’effectue de nombreuses restaurations, aussi bien sur du patrimoine inscrit ou classé aux Monuments Historiques – pour des églises notamment – que sur du patrimoine populaire, comme la restauration de meubles anciens pour des particuliers. C’est un type de patrimoine auquel on ne s’intéresse pas de manière officielle, mais qui fait aussi partie de l’Histoire, qui constitue aussi un patrimoine à part entière. C’est un patrimoine local, familial. Depuis bientôt un an, j’ai également un partenariat avec une boutique dans le cadre duquel je travaille sur un autre aspect. Je fabrique des éléments anciens, des reconstitutions de cuillères, de couteaux, des tabourets à trois pieds. Ces choses-là font partie d’un patrimoine qui tend à être reconnu de nouveau parce que ce n’est pas du manufacturé. Dans un autre registre, j’ai toujours apprécié le fait de pouvoir visiter les châteaux et les églises. Je ne m’imagine pas vivre sans ces édifices historiques, sans qu’ils fassent partie du paysage.
Son rôle dans le cadre du projet muséal
Sur le chantier de la conserverie Alexis Le Gall, je travaille sur le mobilier en bois de la collection. Mon travail concerne le mobilier de l’usine tel que les tables de travail (de parage, d’emboîtage, d’huilage), les bancs et les caisses en bois. Je suis également en charge de restaurer le mobilier de la maison de maître à l’image de l’ancien bureau d’Alexis Le Gall. Ces deux missions sont différentes dans le sens où elles ne requièrent pas le même traitement, ni le recours à la même technicité. Les objets en bois de l’usine se composent de menuiseries relativement grossières comme les planches clouées en sapin, tandis que le mobilier de la maison de maître correspond à un travail d’ébénisterie plus fin.
ses grands défis
Le plus compliqué dans cette tâche concerne le fait qu’il s’agit, en grande majorité, d’un mobilier qui a vécu. Lorsque l’on observe certains éléments au premier abord, on peut penser qu’ils sont irrécupérables. Le défi était donc de réussir à trouver un juste milieu entre la restauration complète qui va dans le détail et les finitions – en recourant à l’application de vernis et en effaçant les traces du temps – et une restauration plus légère qui respecte l’histoire de l’objet et laisse visible les traces de son vécu. Il ne faut pas que la restauration donne l’impression que l’objet est neuf.
Quand j’ai pris en charge les tables de travail de l’usine, certaines avaient jusqu’à 20 centimètres de creux parce que les pieds étaient rongés. Dans ce contexte, la restauration a consisté à mettre des morceaux de bois sous les pieds pour redresser la structure. Toute la question qui se pose c’est : jusqu’où va-t-on dans l’intégration de l’élément moderne par rapport à l’objet ancien ? Qu’est-ce qu’il est pertinent de garder ? Il faut faire des choix.
Il y a des éléments en bois qui sont complètement pourris, mais ils sont le témoin du quotidien de plusieurs vies humaines. L’autre jour, je suis tombé sur un banc dont la surface est complètement pourrie mais sur laquelle figure, de manière lisible, un nom gravé sur la surface. Aussi bien en recherchant ce nom dans les archives du musée, on pourrait retrouver l’identité de l’ouvrière qui a inscrit son nom sur ce banc. Si j’avais décidé de poncer et raboter ce banc pour lui redonner un aspect plus attrayant, on aurait tout simplement perdu cette trace écrite.
C’est pareil pour les bacs à huiles. Sur certains, il y a des inscriptions à la craie. Il faut garder ces témoignages. Sur une des tables d’huilage, sous le zinc, il y a de l’huile qui s’est complètement figée avec le temps, après des décennies d’utilisation de la table. C’est une trace d’une portée symbolique forte, d’où la question de l’équilibre entre redonner une certaine esthétique à ces objets, sans effacer complètement les traces d’usure qui sont en elles-mêmes un témoignage du passé.
son plus beau souvenir
L’autre jour, je me suis rendu à la conserverie. En face de la rue de la Grandière, à l’intersection avec la rue du port, il y a un petit parking où sont exposées des photographiques de l’époque où l’usine était encore en fonctionnement, montrant les ouvrières en train de travailler dans les locaux. J’y ai aperçu les meubles que je suis en train de restaurer. Le fait de les voir dans leur contexte d’usage, à l’époque où ils étaient encore en fonctionnement, a déclenché en moi un sentiment très fort. D’habitude, dans mon travail sur le patrimoine, je me retrouve généralement face à des objets qui sont représentatifs de la vie ou des prouesses d’un grand homme, ou bien d’objets qui bénéficient d’une reconnaissance officielle de l’État parce que l’objet en question « vaut le coup d’œil » d’un point de vue visuel. Dans le cas du mobilier de la conserverie, on est sur du bois brut en sapin. Quand je le restaure, je découvre au fur et à mesure les traces de couteaux dessus, l’histoire de ces objets qui ont été usés et qui me transportent dans le temps aux côtés de ces femmes qui travaillaient à l’usine. Les traces visuelles, qu’il s’agisse des photographies ou des inscriptions sur le mobilier en bois, renforcent ce sentiment de lien, de continuité historique.